jeudi 9 octobre 2008

La mémoire de mon téléphone portable peut-elle être un cimetière ?


J'ai, dans le répertoire de mon téléphone portable, le nom et le numéro de deux personnes qui sont mortes cette année.

Les circonstances de leurs disparitions n'ont rien à voir. Elles ne se connaissaient pas et ne devaient pas avoir grand chose en commun. Si ce n'est leurs coordonnées dans ce foutu répertoire et leur âge - la trentaine approximative - qui n'était pas un âge pour mourir.

Elles n'étaient pas de ma famille ni vraiment de mes amis. Ces deux personnes étaient des « relations » comme on dit.
Je les aimais bien mais je les connaissais peu.

Pourtant, je n'arrive pas à supprimer leurs noms de mon répertoire.
Et je butte régulièrement dessus.
Chaque fois que je cherche dans les S et dans les C.

Je me dis qu'il faudrait que je le fasse, que ça ne sert à rien, que je ne vais plus composer ces numéros, et que, même si l'envie un peu bizarre d'entendre leur voix sur leurs messagerie m'a déjà effleurée, je ne le ferais pas. De toutes façons.

Alors... ?

La mort est une perte de l'autre d'autant plus vive et insupportable que l'on en est proche. Elle est aussi la perte de soi, inévitable projection égocentrique, que la contingence et/ou la brutalité et/ou la souffrance perturbe encore un peu plus. Mais elle est encore la perte de tous les autres, la vie qui passe - la plupart du temps inaperçue - le temps qui s'écoule et le renouvèlement des hommes, leurs histoires se recouvrant les unes les autres.

Que reste-t-il des vies de S. et C. ? Un enfant (sans doute le plus important), des proches meurtris, quelques objets, quelques pages, des photos, des numéros dans des carnets d'adresse...

Pour la plupart d'entre nous la trace n'est pas énorme.

Je me situais en périphérie de leur vie, comme eux étaient en lisière de la mienne. C'est exactement ça qui me rend aujourd'hui difficile le fait de supprimer leurs noms de la mémoire de mon téléphone. Car ces noms sont quasiment la dernière matérialisation d'eux que je possède. En les effaçant, j'aurais l'impression de donner le top départ à l'effacement de leur mémoire. Le signal de leur oubli progressif. Laissant au cercle suivant de leurs relations le soin de poursuivre la tâche. Avant un autre, plus proche. Un autre, encore plus proche. Ainsi de suite jusqu'à ce que, petit à petit, toute la surface de leur présence sur terre se rétrécisse pour disparaître complètement.


C. : 06726540**
S. : 06815406**

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